En latin, Carmina veut dire chants et Burana (appellation donnée en 1847 par J-A Schmeller, premier publicateur) signifie provenant de l’Abbaye bénédictine de Benediktbeuern, appelé aussi BEUREN, célèbre et important lieu monacal au Moyen Age, à 60km environ au sud de München (Munich), près de Bad Tölz en Bavière. Le mot Beuren aurait une origine commune mais non confirmée avec Bauern, paysans, l’abbaye ayant été fondée au milieu d’une vaste zone campagnarde.

Un manuscrit du début du 13è siècle (Codex Latinus Monacensis 4660), conservé à la Bayerische Staats-bibliothek de Munich, provient de cette Abbaye, bien qu’écrit entre 1220 et 1250 probablement au sud de l’Autriche actuelle. Il s’agit d’une anthologie de pièces en vogue à l’époque du copiste, sorte de répertoire des goliards (origine du mot très floue) ou poètes (moines) errants, recueil constitué de 112 folios comprenant quelque 226 poèmes de très belle facture, 8 miniatures remarquables, divers dessins et lettrines dans le texte. Une sorte de supplément contient des poèmes plus tardifs et des jeux liturgiques non notés musicalement. L’ordonnance des textes a subi plusieurs manipulations.

L’idée du compilateur de l’époque est centrée sur la poétique. Diverses formes de poèmes sont utilisées, ainsi que des emprunts – pratique courante – à des poètes connus de l’époque. Gauthier de Châtillon et Thibaut de Champagne côtoient ainsi des poètes allemands ou des classiques latins.
On peut distinguer 3 grands thèmes d’inspiration du corpus poétique : – chants satiriques sur le clergé et parodiques sur divers sujets – épicurisme et érotisme tantôt raffinés tantôt grossiers – textes religieux et moraux, à usage parfois liturgique.

Il semble que le compilateur veuille nous donner une leçon de vie : décrivant les 7 péchés capitaux, les séductions trompeuses sous le signe de la bonne ou mauvaise fortune, il nous amène à de fort beaux sommets de morale et de poésie, toujours liée à la mythologie romaine. Voilà bien l’un des fleurons de la littérature médiévale.

L’écriture gothique a laissé la place pour une notation musicale « in campo aperto », soit sans portée. Pratique courante au 10ème siècle mais devenue très rare au 13ème, qui consistait à indiquer une ligne vocale et son rythme, par l’usage de neumes qui ne permettent cependant pas de fixer la hauteur des sons puisque sans repère de ligne. En bref, il s’agit de perpétuer la mémoire d’une mélodie bien connue. Hélas pour nous, la mémoire d’une part s’est perdue et il faut recourir à des manuscrits éparpillés reprenant les mêmes textes pour oser une reconstitution aléatoire des mélodies. Hélas d’autre part, l’inscription des neumes n’est que très partielle et de nombreuses poèmes se retrouvent orphelins.

René Clemencic réalisa un travail complet de reconstitution de ces Carmina Burana, en partition, en notes critiques et également au disque. De mon côté, j’ai réalisé une nouvelle transcription des textes et puisé la musique dans des sources européennes diverses liées à la célébrité de ces Carmina Burana, notamment à Firenze.

Carl ORFF se servit d’extraits des deux premiers genres et les mit en musique d’après des repères de tons médiévaux, avec une volonté de simplicité quasi tribale, trouvant sa vocation chez les goliards au point qu’il renia tout ce qu’il avait écrit auparavant. Puis il fit une orchestration somptueuse avec un grand nombre de chanteurs et fit avec ce thème une entrée remarquée dans la contestation de l’opéra traditionnel au Théâtre de Frankfurt, en 1937. Ce spectacle chorégraphique et anti- dramatique illustre les vœux du pédagogue – initiateur d’une méthode de pédagogie musicale célèbre – qui prônent un retour à la nature, aux harmonies et rythmes simples et discrets, dans la lignée de la poétique allemande romantique.

Le nazisme, dont la presse accueillit d’ailleurs très froidement le spectacle des Carmina à Frankfurt, devait se servir des aspirations germaniques de l’époque. Le compositeur fut ensuite discrédité par son soutien plus ou moins officiel au régime, lui qui fut pourtant marié en secondes noces avant la guerre à une résistante allemande déportée, Luise Rinser, députée des Verts décédée en 2002. Carl Orff enflamme les foules aujourd’hui autant qu’hier tout en irritant beaucoup de musiciens, dont le grand Strawinsky, contesté dans son domaine de prédilection par un Allemand aux bottes du pouvoir !

Jean-Marie Curti