Prenez un grand opéra méconnu, d’un compositeur célèbre.

Prévoyez d’en faire une re-création contemporaine à large effectif, même si vous ne retrouvez pas le chant-piano de la partition. Qu’importe, il y aura bien un ou une pianiste d’accord de jouer la réduction à vue sur le conducteur de l’époque, écrit tout en clés d’ut. Transcrivez peu à peu toutes les parties d’orchestre.

En guise de sel, imaginez le tout en plein air, dans un lieu inédit, par exemple un jardin avec une tour médiévale devant une maison de repos dont il faut respecter les horaires bien sûr. Assurez-vous  avec un ami d’une mise en scène grandiose.

Pour le poivre, ce sera le choix de nombreux solistes avec 3 choeurs obligés, un ballet. Un peu d’ail tout de même : il faut un grand orchestre symphonique.

Mais ce n’est pas assez épicé : choisissez donc une oeuvre romantique en langue étrangère, par exemple en allemand, que le compositeur lui-même n’a jamais pu entendre, car trop onéreux à monter, déjà à son époque.

Puis construisez patiemment votre projet, en faisant par exemple fournir l’électricité nécessaire par une puisssante génératrice à transporter de loin. Une bonne centaine de projecteurs feront l’affaire.

Laissez mijoter votre rêve au gré des répétitions.

N’oubliez pas de faire construire les gradins en fer à cheval pour 700 personnes, avec une scène en bois calée à l’horizontale, qui englobera la tour médiévale.

Pensez aussi à faire chanter la basse soliste – l’empeureur Charlemagne – tandis qu’il descend du haut du donjon de 25 m en harnais de rappel : mais oui, c’est possible.

N’oubliez pas bien sûr le parasol pour protéger piano et pianiste de la chaleur étouffante et du soleil qui vous assiégeront durant toutes les répétitions.

Assurez tout de même votre financement. Personne n’y croit ? Que diable ! Il y aura le public pour compenser. 

Et puis, voyez grand ! Prévoyez de faire se réunir toute la Schubertgesellschaft dans votre village, Hermance, pour la première de Fierrabras, car il s’agit de « ça » .

Coups de soleil généralisés pour la générale, comme il se doit. Mais suit un jour de repos.

Arrive la première, tout le monde est là. Il pleut. On annule. Les invités repartent.

La deuxième représentation est prévue le lendemain. Orage, ô désespoir, il pleut. On annule.

Le bouillon commence à faire des bulles.

Tout de même, suit un autre jour de repos. Il permet de tout nettoyer et de préparer la troisième représentation. Las ! Il pleut encore.

Il ne reste plus qu’une seule représentation…le lendemain. Il PLEUT. Les 150 interprètes se réfugient à la salle communale, on fait tant bien que mal une musicale en costumes, devant à peine 100 personnes. On se quitte sans chaussette pour ne pas perdre le peu de moral qui reste.

Il faudra 10 ans pour rembourser toutes les dettes. Ce que nous fîmes.

Il y a 40 ans exactement que nous bûmes le meilleur bouillon qui soit.

JMC